C’est Josy, la diseuse de bonne aventure qui lui avait trouvé l’emplacement idéal. Entre la 35ème et la 37ème roulotte en bois peint qui longeait la route du cap. L’As de carreau était tombé à chaque fois, synonyme d’argent donc de réconfort.
C’était ainsi, avec son fils Alain ils s’installeraient là tous les deux face à la mer.
Une nuit, Josy avait tout bonnement bazouké la caravane verte habitée par les chats au numéro 36 du terrain aux vagues. L’usine à gâteaux allait trôner désormais comme une boîte de calissons chez le pâtissier. Alain aurait tout donné pour faire plaisir à Jeanine. L’idée de l’as de carreau orchestrée par Josy, c’était lui. Ca lui avait coûté cher, et Jeanine n’en saurait jamais rien. A coup sûr, ils seraient bientôt riches. Riches comme la mer avant d’être vieux comme des bancs aimait à répéter Jeanine.
Juste assez pour partir à Venise tous les deux, ne serait-ce qu’un billet aller-simple, de train ou de bateau.
Méditerrrrrannée, aux îles d’or ensoleillées
La construction s’accélérait grâce aux gars du quartier qui prêtaient main forte. L’usine à gâteaux véhiculait les rêves les plus fous des uns et des autres, de ceux qui n’avaient rien entrepris. Et rappelait avec nostalgie la construction des baraquettes le dimanche, sur les friches du mont Saint-Clair.
Arrrrrriveddddercci Roma
L’usine à gâteaux ronflait déjà comme un moteur de cadillac. Alain, très coquet comme à l’accoutumée avait souhaité une façade dentelée ponctuée de deux colonnes meringuées. A l’intérieur, du sol au plafond, les murs étaient patinés d’un je ne sais quoi d’inattendu, quelque chose de vaste et puissant qui résonnait comme un diktat impérial. Alain avait découpé dans les journaux des nuits entières durant, des pigeons par milliers, ceux de la place Saint-Marc. Et bientôt, des pigeons comme s’il en pleuvait, volant, planant, picorant, décoraient religieusement du sol au plafond l’usine à gâteaux.
Jeanine officiait en cuisine vouée à l’invention du célèbre gâteau qui ferait bientôt leur renommée. En vain. Non dénuée d’imagination elle décida d’appeler à la rescousse une vieille connaissance rencontrée quelques années auparavant. Stuart, un chef anglais ancien superviseur de pâtisseries chez Marks & Spencer. La tarte au citron meringuée c’était lui, de même que le Saint-Honoré. Jeanine se souvenait du lancement en grandes pompes du Saint-Honoré sur les Champs-Elysées. Dix mille chefs toqués du saint gâteau y avaient dansé la sardane au son des fanfares dominicales. Pas de doute, Stuart ferait très bien l’affaire. En un rien de temps il fut débauché de son restaurant de King’s Road qu’il avait prénommé la cuisine d’Elvis. C’est là, au numéro 36 du terrain aux vagues que le Paris-Sète fut créé, entraînant avec lui la valse des critiques culinaires aux quatre coins du monde.